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Stockage des produits chimiques

Un stockage des produits chimiques mal planifié peut provoquer un enchaînement d’évènements graves : départ d’incendie incontrôlé, explosion par surpression, émission de gaz toxiques, pollution chronique des sols, atteinte à l’image de marque ou arrêt forcé de la production. À l’inverse, un stockage sécurisé apporte des gains multiples : continuité d’activité, conformité réglementaire, diminution des primes d’assurance, réduction de la pénibilité et amélioration de la culture sécurité.

Le présent dossier détaille, au-delà des exigences minimales, les bonnes pratiques avancées inspirées des retours d’expérience industriels, des guides d’assureurs et des recommandations des préventeurs européens. Toutes les prescriptions s’appuient sur le cadre réglementaire français (Code du travail, ICPE) et les textes communautaires (CLP, REACH, SEVESO III).

Panorama des risques et facteurs aggravants

  • Incendie/Explosion : solvants à bas point éclair, poudres combustibles, gaz comprimés inflammables, réactions exothermiques.
  • Toxicité aiguë : dégagement d'H2S, de chlore, de phosgène ou de vapeurs d’acides minéraux concentrés.
  • Risques chroniques : exposition répétée à des CMR, émissions fugitives non détectées faute d’instrumentation.
  • Dommages environnementaux : lessivage des terres lors d’orages, infiltration en nappe phréatique, ruissellement vers réseaux EU/EP.
  • Accidents mécaniques : chutes de fûts, écrasement, collisions chariot/piéton sur zone exiguë.
  • Perte de maîtrise thermique : auto-échauffement de peroxydes, polymérisation inopinée, emballement thermique des peintures nitro-cellulosiques.

Plusieurs conditions accroissent la probabilité ou la gravité d’un sinistre : densité de stockage trop élevée, proximité de matériels électriques non ATEX, vieillissement des emballages, absence de plan de secours ou encore turn-over élevé du personnel.

Cartographier les familles de produits

Avant tout projet d’aménagement, l’entreprise établit une cartographie des substances :

  1. Extraction de la liste des produits à partir des bons de commande et des fiches de données de sécurité (FDS).
  2. Classification par classes de danger CLP et par caractéristiques physico-chimiques clés (point éclair, pH, stabilité, pression vapeur).
  3. Hiérarchisation selon quantités annuelles, fréquence de manipulation et historique d’incidentologie.

Cette cartographie est représentée sous forme de bubble map, permettant de visualiser en un coup d’œil les familles prioritaires. Elle sert de base à l’implantation des zones de stockage, des capteurs et des dispositifs de rétention.

Zoom réglementaire

Au-delà des articles du Code du travail déjà cités, plusieurs textes doivent être pris en compte :

  • Arrêté du 4 octobre 2010 relatif à la prévention des explosions de poussières combustibles.
  • Directive 2012/18/UE (SEVESO III) si les seuils « substances dangereuses » sont dépassés.
  • Arrêté du 7 juillet 2023 sur la gestion des déchets dangereux en entrepôts logistiques.
  • Note DGT/CT1/ICPE précisant les exigences d’inventaire et de signalisation pour les rubriques 4734 et 4735.

Chaque exploitant doit conserver un dossier de conformité intégrant : plan masse, schémas électriques ATEX, certificats de résistance au feu, attestations de maintenance des détecteurs, rapports d’essai de résistance aux chocs (UN / RID / IMDG).

Concevoir ou rénover un local hautement sécurisé

Les lignes suivantes complètent l’approche structurelle :

  • Structure coupe-feu : EI 120 conseillée pour stockage > 10 m3 de liquides inflammables ; charpente R 60 ; portes à fermeture automatique à 850 °C.
  • Sols antidérapants et antistatiques (résine époxy conductrice < 109 Ω).
  • Caniveaux de collecte connectés à un séparateur hydrocarbures et à une vanne de confinement manuelle en cas de déversement majeur.
  • Asservissement incendie : coupure de ventilation, arrêt des pompes de transfert et purge automatique des lignes flexibles.
  • Rideau d’eau ou water curtain pour compartimenter sous mezzanine.
  • Détection thermique redondante : thermocouples + câble linéaire, adressée à l’ECS.

Les containers modulaires double paroi, pré-équipés (rétention, ventilation, extincteur automatique à brouillard d’eau), offrent une solution rapide pour les sites en extension ou les chantiers temporaires.

Ventilation, captation et traitement de l’air

L’efficacité d’une ventilation ne dépend pas uniquement du débit global, mais surtout du taux de renouvellement local et du profil d’écoulement (poussée vs tirage). Les recommandations avancées prévoient :

  • Extraction en partie haute pour solvants légers (acétone, éther), en partie basse pour vapeurs lourdes (toluène, chlorure de méthylène).
  • Filtration sur charbon actif doublée d’une étape catalytique pour abattre les COV avant rejet atmosphérique.
  • Surveillance en continu des concentrations ; seuil d’alarme : 5 % LIE, seuil d’action : 10 % LIE (mise en sécurité).
  • Mesure numérique de dépression : minimum −15 Pa entre local et zones adjacentes.
  • Système By-pass pour mode veille afin de réduire les consommations énergétiques hors période de production.

Un audit par fumigène ou par traceur SF6 est réalisé chaque année pour visualiser les éventuelles zones mortes et adapter les bouches d’insufflation.

Stratégies avancées de séparation des incompatibilités

La séparation horizontale (rayonnages distincts) est parfois insuffisante. Les sites à haut volume adoptent des niveaux de barrière successifs :

  1. Barrière primaire : emballage homologué UN.
  2. Barrière secondaire : carton ou sur-fût absorbant.
  3. Barrière tertiaire : compartiment métallique ventilé ou armoire à double paroi.
  4. Barrière quaternaire : distance physique ou paroi coupe-feu EI 60.

Une matrice d’incompatibilité plus fine peut être élaborée (acides forts vs acides oxydants, bases fortes vs amines) à partir de l’annexe F du NFPA 400 et de l’appendice de la norme ISO 22367.

Logistique interne, digitalisation et suivi temps réel

  • Réception : lecture code-barres ou RFID, appairage automatique à la FDS numérique, création d’un identifiant unique de lot.
  • Pilotage par logiciel WMS : paramétrage d’alertes seuil, dates péremption, seuils SEVESO.
  • Balance intégrée sous rayonnage : pesée continue, détection de fuite ou d’évaporation anormale.
  • Vérification périodique : contrôle d’étanchéité par spectrométrie infrarouge portable, test hydrostatique des bouteilles de gaz.
  • Application mobile pour near miss reporting avec photo et géolocalisation dans le local.

Produits à risques spécifiques : focus

Aérosols
Stockage à < 50 °C, quantité limitée à 10 000 unités par compartiment, ventilation haute prioritaire.
Cryogéniques
Utilisation de dégazage contrôlé, détecteurs d’O2 paramétrés à 19 % V/V, extraction basse à 12 vol/h.
Explosifs déclassés et précurseurs
Armoire blindée, cadenas à double contrôle, inventaire hebdomadaire signé par deux personnes habilitées.
Acides perchlorique / nitrique concentré
Stockage dans armoire ventilée dédiée avec gaine en PVC résistante à l’oxydation, pas de matériaux organiques voisins.
Lithium-ion en solution
Isolation thermique, bac rétention incombustible, détecteur incendie multicapteurs (thermique + CO).

Déchets chimiques : de l’entreposage à la traçabilité finale

Les déchets dangereux (DD) nécessitent le même niveau de précaution que les produits neufs. Les mesures complémentaires incluent :

  • Attribution d’un code Déchet européen (DCE) lors de la mise en fût.
  • Système d’étiquette orange avec pictogramme de risque résiduel.
  • Connexion à la plateforme dématérialisée nationale pour traçabilité (bordereau BSD).
  • Contrôle de l’absence de dilution ou de neutralisation sauvage ; tout traitement in situ doit être déclaré.

La zone de déchets est éclairée en éclairage de sécurité décentralisé (batterie 3 h) afin de permettre l’évacuation même en cas de perte secteur.

Plan d’intervention et exercices réguliers

Le POI (Plan d’Opération Interne) est obligatoire pour les ICPE soumises à autorisation avec servitude SEVESO. Il doit intégrer :

  • Scénarios crédibles (rupture d’IBC, explosion de vapeurs, incendie par friction).
  • Organigramme d’alerte : chaîne hiérarchique, service d’astreinte, autorités locales.
  • Fiches réflexes plastifiées sur chaque porte (en 15 lignes max.).
  • Partage annuel avec le SDIS et exercice « table top » semestriel + exercice réel triennal.
  • Bilan post-exercice : plan d’actions, re-mesure d’indicateurs (temps de réaction, couverture EPI).

Programme de développement de la culture sécurité

Au-delà des habilitations, une culture sécurité robuste repose sur :

  • Parrainage : chaque nouvel arrivant est suivi par un « mentor sécurité » pendant 30 jours.
  • Micro-learning via capsules vidéo de 3 minutes sur smartphone.
  • Serious game VR permettant de simuler un déversement et de choisir la bonne stratégie d’endiguement.
  • Challenge Sécurité trimestriel (quizz + audit croisé), avec dotations reversées à une association caritative.

Retours d’expérience (Rex) : trois cas concrets

  1. BetaPharma : fuite d’acide trifluoroacétique. Déclenchement détecteur IR > 2 ppm, mise en mode plein débit, confinement en 90 s, aucun blessé.
  2. PrintColor : incendie de fût d’encre nitrocellulosique. Cloison coupe-feu EI 120 a permis de contenir l’incendie ; reprise de la production en 48 h, limitation des dégâts à 60 k€.
  3. AgroNutriments : explosion de silo sucre. Dépoussiéreur non conforme. Mise en place après incident d’un système d’inertage à N2, aucun accident depuis 4 ans.

Check-list 30 points avant réception d’une nouvelle substance

Extraits des points clefs :

  • La substance figure-t-elle sur la liste des précurseurs d’explosifs (règlement UE 2019/1148) ?
  • L’emballage est-il exempt de déformation ? Test « tilt » sans fuite ?
  • Le certificat UN 3H1/3G1 joint ?
  • Des glaçons carboniques ou accumulateurs eutectiques sont-ils à éliminer dans un bac dédié ?
  • La zone tampon est-elle libre de tout matériel pour 2 m autour du point de dépôt ?
  • Les détecteurs gaz affichent-ils 0 ppm avant ouverture du colis ?
  • Le flux d’entrée est-il saisi dans le WMS pour mise à jour des seuils SEVESO ?

Glossaire express

LIE
Limite Inférieure d’Explosivité : concentration minimale d’un gaz/vapeur pouvant former un mélange explosif.
ATEX
Atmosphère Explosive : mélange air + substances inflammables susceptible de s’enflammer.
ICPE
Installation Classée pour la Protection de l’Environnement.
IBC
Intermediate Bulk Container, conteneur vrac de 300 à 1 000 L.
CMR
Substance Cancérogène, Mutagène ou toxique pour la Reproduction.

Ressources complémentaires

  • Infographie « 5 gestes pour un stockage sûr »

  • Podcast 12 min

  • Webinaire à venir 18/10/2025

Mis à jour le 03/03/2025

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